Le choc des élections en Grèce

Suite à la grave crise financière, puis économique et sociale, la Grèce vient de plonger dans une crise politique majeure. Le bipartisme qui réglait la vie politique grecque depuis l’indépendance de 1832 (Populistes-libéraux ; Royalistes-Vénizélistes ; Monarcho facistes-communistes ; Conservateurs-socialistes) a volé en éclat lors des législatives anticipées des 6 mai et 17 juin 2012.

Le paysage politique a été totalement chamboulé. Les socialistes du PASOK ont pris une déculotté historique alors qu’ils gouvernaient le pays quasiment sans interruption depuis 1981. Les partis traditionnels qui soutenaient les plans d’austérité imposés par la « Troïka » (UE, Banque mondiale, FMI) ont été lourdement sanctionnés. Le PASOK est arrivé en troisième position le 6 mai avec 13,18% des voix, perdant 30,7% par rapport aux législatives de 2009, perdant donc 109 députés, n’en gardant que 41, revenant au niveau électoral qu’il avait aux élections d’octobre 1974, trois mois après la chute de la dictature des colonels. Mais à l’époque, le PASOK était un nouveau parti et pour la première fois la famille socialiste entrait de plein pied dans le paysage politique grec, rompant avec l’antagonisme violent entre monarcho-fascistes et communistes (guerres civiles d’octobre 1943-avril 1944, de décembre 1944-février 1945, de mars 1946-août 1949).

Les conservateurs de la Nouvelle démocratie ont eux aussi pris le bouillon. Par rapport à 2009, ils ont perdu 14,6% des voix, avec seulement 18,85% des voix. Mais avec le système électoral à la proportionnelle complexe, avec un bonus de 50 députés pour le premier parti, ils ont obtenu 108 députés, soit 17 de plus qu’en 2009. Voilà les deux grandes premières surprises avec l’effondrement des deux partis traditionnels. Mais les surprises ne s’arrêtent pas là. Le deuxième parti a été la SYRIZA (Coalition de la gauche radicale) avec 16,78%, gagnant 12,2% par rapport à 2009 et 39 députés en plus, soit un groupe de 52 parlementaires. Ce parti est radical au niveau économique et social, mais pas en politique. En effet, il est issu du KKE-es (Parti communiste de Grèce de l’intérieur), issu d’une scission du KKE (Parti communiste de Grèce ; stalinien) en 1968. Les membres du KKE-es étaient des réformateurs anti staliniens, euro-communistes et gorbatchéviens avant l’heure. La SYRIZA est l’héritière de ce courant, fédérant aussi des petits groupes gauchistes et écologistes. Son succès vient du fait qu’il a toujours combattu les plans d’austérité et son leader, Alexis Tsipras, 36 ans, est un homme jeune dynamique et un très bon tribun. SYRIZA a siphonné l’électorat du PASOK et bloquée une possible augmentation d’un KKE dirigé depuis près de vingt ans par Aleka Papariga qui n’a pas été le fer de lance de la contestation anti-austérité. En quatrième position, un nouveau parti, les Grecs Indépendants. Il a été fondé début 2012 par un transfuge de la ND, Panos Kammenos, exclu de la ND pour avoir refusé de voter au parlement le plan d’austérité. Kammenos a fait de brillantes études de sciences politiques à l’université de Lyon. Francophone et francophile, il fut le plus jeune député de la Vouli (le parlement) dans les années 90. Pour un tout jeune parti, il a obtenu 10,6% et 33 députés. Il a pris des voix au PASOK et à la ND ainsi qu’au LAOS (Alerte populaire orthodoxe), un parti de droite nationaliste, fondé par un autre transfuge de la ND et lié au courant le plus conservateur et réactionnaire de l’église orthodoxe autocéphale grecque dont la plupart de la hiérarchie a été nommée à l’époque de la dictature des colonels, contre l’avis du patriarcat eocuménique de Constantinople, actuellement dirigé par le modéré Bartholoméos 1er. Le LAOS a d’ailleurs perdu 2,7%, n’atteignant pas la barre fatidique des 3% et perdant ainsi ses 15 députés. Le LAOS avait un temps plus ou moins soutenu le plan d’austérité.

Le KKE stalinien a obtenu 8,48% des voix, soit seulement 0,9% de plus qu’en 2009 et cinq députés de plus, ayant ainsi un groupe de 26 parlementaires. Ce parti communiste a toujours des relations très proches avec Cuba, le Venezuela, la Chine et la Corée du Nord, mais il n’a pas été le fer de lance de la contestation contre le plan d’austérité, laissant son bras syndical, le PAME, s’en occuper. En effet, le syndicaliste grec est très particulier. Il n’existe que deux confédérations uniques : la GSEE (Confédération générale des travailleurs de Grèce) pour le privé, et l’ADEDY pour le public.

L’autre grande surprise fut l’émergence du parti d’extrême ouvertement pro nazi, Chryssi avghi (Aube d’or ou Aube dorée). Aux précédentes élections il atteignait difficilement les 0,3%, passant cette année à 6,97% et faisant entrer pour la première fois depuis 1967, des députés fascistes à l’assemblée (21). La moitié des cadres de ce parti ont été condamnés par la justice pour violence. Cet épisode a été un véritable choc pour l’opinion publique grecque et européenne, car le pays a durement souffert de l’occupation germano-italo-bulgare d’avril 1941 à novembre 1944. Le pays a perdu plus de 400.000 personnes et près de 400 villages ont été brûlés. C’est oublier que le pays a toujours connu un fort mouvement totalitaire. Les royalistes ont soutenu la dictature du général Métaxas de 1936 à 1941. Son régime était calqué sur celui de Mussolini et de Pétain. Durant la Seconde Guerre mondiale, il y eu de nombreuses milices pro-allemande et pro-italienne : les Tagmata Asphalies (Bataillons de sécurité) dans le Péloponnèse, les Chites à Athènes, la milice valaque de Diamantis en Grèce centrale, deux groupuscules pro nazis à Salonique, et les bandes de Tchaouch Anton en Thrace occidentale. La plupart de ces milices collaborationnistes, après de durs combats, ont été exterminées par la résistance communiste. Les survivants aux ordres de nazis, sont passés du côté britannique en décembre 1944, lors de la guerre civile dans Athènes de décembre 1944 à janvier 1945 contre les résistants de gauche qui pensaient prendre le pouvoir. Ensuite de 1945 à 1949, ils sillonnaient les campagnes et coupaient les têtes aux anciens résistants. Enfin, durant la dictature des colonels (avril 1967-juillet 1974), une partie non négligeable de la population a soutenu ce régime. Enfin, dans les années 80, un petit parti d’extrême droite dirigé par le frère du colonel Papadopoulos a fait un score honorable lors d’une élection européenne. Bref, les nervis de Chryssi Avghi sont les héritiers de ce courant historique.

Le grand perdant de ce scrutin a été la DIMAR (Gauche démocratique), fondée en décembre 2010 par des transfuges de la SYRIZA et du PASOK. Ils pensaient récupérer les voix des déçus du PASOK. Mais n’ayant ouvertement combattu le plan d’austérité, la DIMAR n’a recueilli que 6,11% et 19 députés. Les Verts, le LAOS et l’Alliance Démocratique (des transfuges de la ND) n’ont pas passé la barre des 3% et ne sont donc pas représentés à la Vouli. A noter que sur 10 millions d’inscrits, il n’y eu que 6.300.000 suffrages exprimés, soit 65% de participation.

D’UNE ELECTION A L’AUTRE

Comme le veut la constitution, le président de la République, Karolos Papoulias, a demandé au chef du premier parti, Andonis Samaras, pour la ND, de former un gouvernement, sans succès. Idem pour Alexis Tsipras de la SYRIZA puis Evanguelos Vénizélos pour le PASOK. Il a du donc fallu organisé un second scrutin le 17 juin 2012 sous la pression de la troïka et de l’Allemagne qui ont fait comprendre aux Grecs que s’ils ne votaient pour les partis défendant le plan d’austérité (ND, PASOK et DIMAR), le pays serait déclaré en faillite et s’enfoncerait deux fois plus dans la pauvreté.

Les électeurs ont eu peur, mais la participation a chuté à 62,5%. La ND a recueilli 29,61% et 129 sièges. La SYRIZA elle aussi a augmenté avec 27,06% et 72 députés. Le PASOK poursuit sa descente aux enfers avec seulement 12,24% et plus que 32 députés. Les Grecs Indépendants ont obtenu 7,57% et encore 20 représentants. Aube d’or confirme sont implantation avec 6,94% et 18 députés. La DIMAR est quasi stable avec 6,25% et 17 sièges. Le KKE s’est effondré avec 4,49%, soit son score le plus bas depuis 1974 et plus que 12 parlementaires. L’Alliance démocratique a rejoint la ND et ni les Verts, ni le LAOS n’ont franchi les 3%. La majorité parlementaire étant de 151 députés, les trois partis pro austérité en détiennent 178. Ils ont donc formé un gouvernement de coalition après des tractations entre Samaras, Vénizélos et Kouvélis.

Samaras, né en 1951 à Athènes dans une famille de la haute bourgeoisie, a été député de la ND dès 1977, puis ministre des affaires étrangères de 1990 à 1992. Mais ultra nationaliste et en pointe dans le combat contre les Macédoniens ex-yougoslaves, il a quitté la ND et fondé sans succès son propre parti, Printemps Politique. Il est rentré au bercail en 2004 pour devenir ministre de la culture en 2009 et prendre la direction de la ND fin 2009. Evanguelos Vénizélos est né à Salonique en 1957. Professeur de droit constitutionnel à l’université de Salonique, il a été député PASOK en 1993 et de nombreuses fois ministre de 1993 à 2012 (information, transport, justice, culture, économie, défense, finances). Il a pris la direction du PASOK en mars 2012. Fotis Kouvélis est né en 1948 à Volos, membre du KKE-es dès 1975, puis Secrétaire général du Synaspismos, l’ancêtre du SYRIZA, en 1987. En décembre 2010, il quitte SYRIZA pour fonder la DIMAR.

Mais Samaras a été pour le moins ingrat. Sur les 38 ministres, le PASOK en a un (écologie) et la DIMAR un (réforme administrative) ! La Grèce est sauvée de la crise politique, mais jusqu’à quand. En tout cas, elle ne l’est pas de la crise économique, sociale et morale.

Christophe Chiclet, membre du comité de rédaction de Confluences Méditerranée

17 août 2012